L’origine de ma réflexion sur les différences entre univers 2D et 3D vient de l’utilisation extensive du terme Web3D comme successeur au Web 2.0. J’avais écrit un article critique sur le sujet. J’essaie dans le présent post de définir quelques caractéristiques différentiant les espaces 2D et 3D.
Navigation météorique
Notre espace physique étant à 3 dimensions, nous ne faisons jamais physiquement l’expérience d’un espace à 2 dimensions. Une simplification mentale nous fait cependant concevoir un écran d’ordinateur, une page de livre, un mur, une façade comme un espace 2D.
Une telle surface plane étant baignée dans un espace de dimension 3 il est possible à l’observateur de s’en éloigner ou de s’en rapprocher en évoluant selon la dimension orthogonale à cette surface (je peux coller mon nez au mur ou prendre du recul).
A l’évidence lorsqu’on s’écarte d’une surface, on se permet de l’embrasser du regard plus largement mais on distingue moins bien les détails qui y figurent. Il existe donc un compromis entre la surface observée et la résolution d’observation. Ainsi, si du pied de la tour Montparnasse je m’éloigne, je vais pouvoir (pourvu que je puisse m’éloigner suffisamment) observer la tour dans son ensemble d’un seul regard, i.e. sans avoir à lever la tête. Je ne pourrai cependant plus percevoir les traces de doigts sur les vitres à cette distance.
Il s’agit là du principe mis à l’oeuvre dans la navigation météorique (dont il fut question dans un article précédent sur les espaces contigus et continus) : s’éloigner pour changer d’échelle, et offrir une perspective plus large et des déplacements plus rapides.
Jeux vidéos 2D
La perception des détails n’est par ailleurs pas identique pour l’ensemble d’une surface observée : si la résolution est inversement proportionnelle à la distance d’observation, ce qui est loin de moi m’apparait moins clairement. Ainsi regardant la tour Montparnasse, et étant moi même au sol, certains détails qui seront observable sur la partie inférieure de la tour (les montants des fenêtres par exemple) ne le seront pas pour le sommet (qui est beaucoup plus loin de moi, cf théorème de Pythagore…). Ce principe ne se vérifie pas seulement lorsqu’on observe un surface 2D. La résolution est inversement proportionnelle à la profondeur de champ.
Voilà quelques années encore la plupart des jeux se jouaient en 2D et à la 1ère personne. Pour rendre dans le monde 2D les limites de la vision humaine, ces jeux ont recréé un « flou » sous forme d’un assombrissement centré sur le ou les avatars incarnés par le joueur (voir screenshot de Civilization 3 ci-dessous). Puisque nous ne sommes pas capables, nous créatures 3D, de nous projeter dans un monde en 2D, les conditions d’une projection sont artificiellement recréées en nous empêchant de voir ce que nous pourrions voir du fait de notre distance à l’écran mais que nous ne pourrions pas voir si nous étions à l’intérieur du monde rendu.
Champ de vision et cloisonnement
Pour les jeux à la première personne le champs de vision ainsi recréé est de forme circulaire. Sauf à l’intérieur de bâtiments où les murs restreignent la profondeur de champ. Ainsi le joueur devant l’écran pourrait voir ce qu’il y a derrière le mur, mais l’avatar ne le peut pas. La projection du champ de vision se fait donc en rendant sa dégradation avec la distance mais aussi son possible cloisonnement…
Le cloisonnement est (pour nous habitant un monde en 3D) propre à un espace 3D. Si on met de côté la projection dans un espace 2D dont il vient d’être question, il est impossible de construire un « mur » dans un espace 2D. Le cloisonnement conduit à passer de la notion d’espace à la notion de « site » (place en anglais chez Dourish). Le cloisonnement d’un appartement permet d’en séparer les différentes pièces. Il permet une spécialisation des sites ainsi créés. Et de cette spécialisation découlent des conventions et des schémas mentaux qui conditionnent notre action. Si à un diner chez des amis je cherche un couteau, je commencerais par chercher la cuisine.
Cet exemple peut sembler trivial, mais si sur un ordinateur qui n’est pas le mien je recherche un document particulier, par où vais-je commencer à chercher ? La spécialisation permet donc en premier lieu de diviser l’information entre les différents sites et ainsi de réduire la charge informationnelle en chacun d’eux. En second lieu, la spécialisation des espaces permet la mise en place de routines qui réduisent la charge cognitive des tâches à effectuer : prenez en exemple ces matin où, de votre lit, vous vous rendez à votre douche presque mécaniquement, puis avalez votre petit-déjeuner et vous retrouvez au métro sans même avoir l’impression d’avoir réalisé une seule opération consciente.
Angles morts, point de vue et immersion
Le cloisonnement est reproductible en 2D par projection au travers d’un avatar. Hors des jeux, cette technique n’a, me semble-t-il, jamais été utilisée dans des interfaces. Elle mériterait qu’on s’y intéresse…
Le cloisonnement est associé à la définition du champ de vision. De la même manière l’angle mort est associé à la définition du point de vue. Je ne peux voir les deux profils d’un même visage en même temps (sauf dans les peintures de Picasso). Il faudrait disposer d’une 4e dimension, celle du recul, pour pouvoir embrasser un objet 3D dans son ensemble (4e dimension difficile à se représenter, j’en conviens). Les angles mort au sens strict sont les zones du champs de vision obstrués par des objets (le cloisonnement n’est alors rien d’autre que la définition d’angles morts). Ici l’angle mort peut aussi prendre le sens de « face cachée », c’est-à-dire la portion d’un objet appartenant à la zone du champ de vision que lui-même obstrue.
En changeant de position, les angles mort changent aussi. Chaque point de vue est unique. Cette variation en fonction de la position est extrêmement difficile à recréer par projection dans un univers 2D, d’où le qualificatif d’immersif accolé aux mondes synthétiques 3D : la sensation d’immersion liée au point de vue ne peut être recréé sans la troisième dimension.
Conclusion : De la 3D à la notion de chemin
Dans ce post j’ai utilisé les notions de champ de vision et de point de vue pour distinguer espaces 2D et espaces 3D. Des différences qui ont été relevées il faudrait ensuite passer aux conséquences sur nos pratiques. Celles-ci sont cependant, en général, le résultat d’un parcours, d’un succession d’actions prenant place dans les mondes physiques et/ou digitaux. Il existe donc une forte connexion entre les pratiques et les déplacements topographiques. Nous entrons là dans la sphère du design d’interaction. L’étape suivante est de s’interroger sur ce en quoi les chemins (au sens de parcours) dans des espaces 3D diffèrent des chemins dans les espaces 2D. Par ailleurs il pourrait être fructueux de confronter les notions de champ de vision et de point de vue aux espaces contigu (comme le web) alors qu’elles semblent consubstantielles aux espaces continus.