Le lien entre l’existence d’un objet et la perception que l’on a en est sujet à débats philosophiques depuis bien longtemps. Ce n’est pas mon objet que de l’aborder mais il se rapproche du lien que l’on peut faire entre la présence d’un individu et la perception qu’on a de lui.
Ce sujet m’a paru d’intérêt alors que l’on parle de « présence ambiante » en regard du succès des réseaux sociaux et de leur portage imminent sur terminaux mobiles. Avant de se consacrer aux univers digitaux faisons un détour par l’univers réel qui est le notre.
Supposons l’existence d’hommes invisibles, ou devrais-je dire d’hommes imperceptibles. Ils peuvent alors être présents dans mon salon alors que je regarde la télévision, mais ne pouvant les percevoir je n’aurai pas conscience de cette présence. De mon point de vue il n’y a présence que dès lors que je perçois.
Mais percevoir quoi ? Une forme, une odeur, une ombre…? N’importe : ce sont là autant de marqueurs de l’identité de la personne qui m’indique sa présence à défaut d’être suffisamment révélateur pour me dévoiler son identité.
L’absence, la présence imperceptible, puis la présence anonyme. De là se déroule un continuum qui permet de caractériser de mieux en mieux cette présence, jusqu’à ce que la personne nous soit pleinement perceptible : son visage, sa corpulence, son odeur, le son de sa voix,…
Marqueurs imperceptibles
Dans le métro nous sommes percevons les autres voyageur (parfois même un peu trop…), ils n’en restent pas des anonymes. Cependant nous amenés à reconnaitre ces personnes que nous y croisons régulièrement. L’anonymat s’entend donc ici en terme d’état civil. Ils nous sont anonymes sans nous être totalement étrangers. Nous connaissons certains marqueurs de leur identité sans être capable de les connecter à d’autres que sont leurs noms, adresses, etc…
Comme illustré par ailleurs, il n’existe pas une définition unique absolue de l’identité. Il s’agit plutôt d’un ensemble à géométrie variable de marqueurs dont la cohérence persistante nous permet d’affirmer d’une fois sur l’autre qu’une personne est celle dont nous avons la mémoire.
Au-delà de ces considérations sur l’identité il n’en reste pas moins que des marqueurs tels que ceux constituant l’état civil ont un importance particulière car ils permettent de désigner une personne de manière (relativement) non-ambiguë. Ces marqueurs, contrairement par exemple au visage ou au son de la voix, sont des marqueurs imperceptibles : il ne nous est pas donné de les connaitre de manière immédiate au travers de nos sens.
Médiation de la perception dans les univers digitaux
Dans les mondes digitaux nous ne percevons que ce que notre interface (essentiellement notre écran) nous transmet. Certains services tentent d’introduire une forme de perception de « l’autre » sans laquelle il ne peut y avoir de dimension sociale.
Ainsi lorsque je visite une page web, je suis a priori invisible pour les autres personnes présentes sur la même page au même instant. Les forums informent de la présence d’utilisateur « anonymous ». On peut aussi connaitre les pseudos des membres inscrits présents.
La volonté de rendre la navigation internet plus sociale se traduit par l’ajout de marqueurs supplémentaires sous forme d’avatars, qui vont des images 2D fixes aux représentations 3D mobiles. Ainsi les services proposant le « walking web » transforment une page 2D à usage individuel en un univers 3D, lieu d’échange et de mouvement.
Cette socialisation du web consiste donc à le transformer d’un lieu privé en un lieu public de divulgation de soi. Divulgation de marqueurs de son identité, ces marqueurs pouvant être liés à notre réalité physique (photos par exemple) ou pas.
La médiation de la perception permet donc l’enrichissement de la notion d’identité par la création de nouveaux marqueurs (marqueurs synthétique) ou par le travestissement de marqueurs « physiques » (photos truquées).
Ce nouveau flou qu’introduisent les mondes digitaux autour de la notion d’identité me parait, malgré les risques de manipulation qu’il introduit, être un juste retour des choses face au diktat réducteur de l’état civil. Sur le net la question « Qui es-tu ? » ne dispose pas d’une seule réponse…