Notre identité, en tant que construction sociale, est constituée d’un ensemble de traces que nous laissons derrière nous. Ces traces sont un ensemble de données distribuées, redondantes et ambiguës :

  • Distribuées : les occurrences de mon adresse email sur internet, tout comme les souvenirs des personnes m’ayant déjà vu sont par définition distribués au sein des pages et cerveaux. Et plus généralement dispersés dans les réseaux/espaces.

  • Redondantes : l’utilisation d’un hyperlien permet au site de destination comme au site de départ de connaitre mon trajet. Et après un dîner au restaurant, plusieurs personnes se souviendront m’avoir vu manger.

  • Ambiguës : plusieurs pages internet peuvent mentionner différentes adresses email me concernant, dont certaines peuvent ne plus être valables. Les souvenirs sont des données subjectives qui ne convergent pas nécessairement.

Ces traces nous sont associées parce qu’elles renvoient à certains marqueurs de notre identité : nom, adresse, image physique, pseudo, avatar,… La mise en réseau des extrémités (sites sur lesquelles les données sont distribuées) autorise l’indexation des traces et par suite la recherche. La mise en réseau permet donc d’inverser la relation entre trace et marqueur : il devient possible de consulter l’ensemble des traces au sein desquelles apparait un marqueur. Les moteurs de recherches de personnes, tels Spock, offrent ainsi d’agréger les traces digitales basées sur le marqueur qu’est le nom.

L’exploration des traces permet par ailleurs d’établir des connections entre marqueurs. Une recherche sur mon nom dans l’annuaire permet ainsi de trouver à la fois mon adresse et mon numéro de téléphone. Le développement des technologies de reconnaissance faciale devrait très rapidement permettre de connecter l’image physique aux autres marqueurs. Et de disposer de moteur de recherche visuel à l’image de Polar Rose.

L’encapsulation de nos données personnelles, dont il fut question dans ce billet, permet de limiter notre exposition. Cette encapsulation connait pourtant une limite : ne sont encapsulables que les données dont nous maitrisons la publication. Particulièrement notre image physique est un marqueur dont nous ne pouvons contrôler la diffusion des traces : seul le déguisement permet de créer un nouveau marqueur d’identité visuelle qui ne nous est pas personnellement associé offrant une forme d’anonymat. Les personnes qui me voient sont donc amenées à pouvoir, dans un futur proche, prendre une photo de moi et savoir immédiatement qui je suis.

Il serait possible de considérer qu’en citoyen averti j’ai veillé à maitriser mes traces digitales et donc que le curieux n’apprendra que bien peu de choses à mon sujet. Cependant il a été dit que les traces sont distribuées. Nous passons la majorité de nos journées entourés d’autres individus : la plupart de nos faits et gestes sont donc observés et potentiellement renseignables. Trois facteurs expliquent qu’ils ne font actuellement que peu l’objet de publication :

  • Pour ces témoins nous sommes bien souvent des anonymes car ils ne perçoivent de nous que notre identité visuelle.
  • Ils ne disposent pas d’archives centrales auxquelles apporter ces renseignements.
  • Il n’existe pas d’incitation à le faire.

De même il n’existe pas d’incitation à participer à Wikipedia. Dans ce dernier cas c’est une forme d’altruisme qui conduit à contribuer. Je pense que le même argument peut être avancé pour la constitution d’un Wikipedia des personnes : chacun pourra considérer « qu’il est important que tout le monde sache que telle personne a fait… ». Je fais confiance au voyeurisme et au zèle que l’humain montre en bien des circonstances pour constituer ce type de base de données…

La publication et la persistance de nos traces posent la question de l’oubli : l’amnésie n’est pas une plaie mais une condition essentielle de survie du corps biologique et du corps sociale. Cette nouvelle question est abordée par Viktor Mayer-Schönberg.